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(Avant de débuter votre lecture, sachez que cet article est de France et chez eux, l’organisme MIVILUDES qui relève directement du premier ministre, observe, analyse le phénomène sectaire et coordonne l’action préventive et répressive face aux dérives sectaire. Il informe constamment le public sur les risques et dangers auxquels il est exposé.)

OÙ SE CACHENT LES SECTES ?
Après des années d’influence néfaste et des milliers de victimes, comme Sarah Suco, qui revient sur sa propre histoire dans son film « Les Éblouis », les grandes organisations sectaires ont laissé place à de nouvelles structures tout aussi dangereuses. 

Il lui a fallu du temps pour pouvoir s’en délivrer. Transcender le drame qu’elle a vécu, les années de colère, de haine, le besoin de vengeance pour en faire une oeuvre. « C’est comme une thérapie. Si je m’étais lancée plus tôt, sans avoir préalablement travaillé sur cette montagne de souvenirs, cela aurait été un film d’horreur et je ne souhaitais pas ça », explique Sarah Suco. Pour son premier long-métrage, « Les Éblouis » (sélectionné pour le Grand Prix Cinéma ELLE), l’actrice de « Joséphine s’arrondit » s’est inspirée des dix ans qu’elle a passés avec sa famille au sein d’une secte. Elle raconte l’histoire de Camille (Céleste Brunnquell), une adolescente de 12 ans dont les parents rejoignent une communauté chrétienne fondée sur la solidarité et l’entraide. Mais, à mesure que le berger ( Jean-Pierre Darroussin) assoit son emprise mentale sur sa mère ( Camille Cottin) et son père (Éric Caravaca), la nasse se referme et la vie au Saint-Esprit devient de plus en plus mortifère. Camille va alors devoir se battre pour sauver ses frères et sa soeur, quitte à rompre les liens avec ses parents. « Je ne voulais pas réaliser un documentaire sur les sectes, mais raconter l’histoire d’une famille et à quel point l’endoctrinement peut mettre en péril son unité. J’ai vécu, de 8 à 18 ans, des situations tellement folles qu’à chaque fois je me disais : ‘Il faudrait en faire un film !’ » explique Sarah Suco. Aujourd’hui encore, parce que c’est « trop dur », la trentenaire préfère s’attarder sur les anecdotes amusantes plutôt que s’appesantir sur celles qui font froid dans le dos. Elle se souvient, par exemple, du fossé qui la séparait de ses camarades de classe. « On n’avait pas le droit d’écouter de la musique à la communauté, alors mes copines m’apprenaient les paroles des chansons à la mode dans les toilettes de l’école pour que je puisse les chanter avec le reste de la classe, sans jamais en avoir entendu la moindre note. » Sarah Suco sourit. Mais ce destin qu’elle a longtemps cru être la seule à avoir vécu, beaucoup l’ont partagé.

Entre les années 1970 et 1990, le mouvement raëlien, l’Eglise de l’unification fondée par le révérend Moon, l’Association internationale pour la conscience de Krishna (Hare Krishna) et une multitude d’autres sectes comptaient environ 160 000 adeptes en France. Des disciples qui avaient tout plaqué pour vivre en autarcie sous la coupe de puissants gourous. Ils jeûnaient, priaient, aimaient parfois librement, subsistaient chichement après avoir fait don de leurs biens à la communauté. Trente ans plus tard, que reste-t-il de cette nébuleuse ? « Pas grand-chose, répond le sociologue Étienne Ollion, auteur de ‘Raison d’État. Histoire de la lutte contre les sectes en France’ (éd. La Découverte). Les groupes des années 1970, qui ont donné lieu à la création des premières associations de lutte contre les dérives sectaires, sont désormais presque tous exsangues. Moon n’a plus vraiment de présence ici, pas plus que Hare Krishna. Quant aux Enfants de Dieu, ils ont disparu. » Il faut dire que, depuis le 23 décembre 1995, l’Etat et les associations livrent une guerre sans merci aux sectes. Ce jour-là, la gendarmerie découvrait les corps calcinés de seize personnes, dont trois enfants, dans une forêt du Vercors. Les cadavres, disposés en étoile, appartenaient tous à l’Ordre du temple solaire. Si l’on crut d’abord à un suicide collectif, les différentes autopsies révélèrent rapidement des traces d’empoisonnement et des blessures par balle. L’Observatoire interministériel sur les sectes est alors créé. Il deviendra, en 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ( Miviludes), rattachée au cabinet du Premier ministre. Cela montre l’importance que l’on accorde en France au fait sectaire et à son éradication.

Mais les initiatives politiques ne sont pas les seuls facteurs qui expliquent l’atrophie de ces multinationales de l’endoctrinement. « Dans les années 1970-1980, les utopies collectives avaient le vent en poupe. Beaucoup de gens voulaient s’installer à la campagne, loin du monde, rappelle Étienne Ollion. Les groupes qu’on appelait des sectes étaient une version décalée, accentuée de cette même aspiration à une vie communautaire. Elle n’a plus vraiment cours, ce modèle n’attire plus. » À cela s’ajoute l’apparition du numérique, début 2000. « Internet et les réseaux sociaux ont profondément modifié le paysage. Certains grands mouvements n’ont pas su prendre le virage du numérique », explique Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes. Pourtant, le nombre de personnes assujetties n’a pas diminué en France, bien au contraire. Ainsi, 90 000 mineurs seraient prisonniers d’un contexte sectaire selon le Centre contre les manipulations mentales ( CCMM). « Nous avons reçu 2 800 saisines en 2018, dont un millier de signalements et de témoignages qui font état de situations inquiétantes, poursuit Anne Josso. En trois ans, la Miviludes a enregistré une hausse de 30 % des saisines et une nette augmentation des signalements. Le phénomène est insidieux car il est très diffus et prend des formes qui ne correspondent pas à l’image qu’on se fait d’une organisation sectaire. » Fini la distribution de tracts les jours de marché, les gourous en tie and dye qui sentent le papier d’Arménie, les frères et soeurs touchés par la grâce à la sortie de la messe. Désormais, les dérives sectaires s’incarnent dans une myriade de microstructures qui prospèrent sur Internet. Leur champ d’action : le coaching de vie. « Aujourd’hui, ces sites font leur beurre en vendant des DVD à prix d’or, des livres, des stages à 5 000, 6 000, voire 8 000 euros pour vous former à différentes médecines douces avec des diplômes en chocolat à la clé, s’insurge Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire ( Caffes). Leurs promoteurs proclament vous enseigner le bonheur, mais ils ne font, en réalité, que vous priver de votre liberté de pensée, de votre argent, de vos proches. Ces gens-là sont extrêmement dangereux, ils viennent même devant les hôpitaux pour profiter des personnes en souffrance. »

« PLUS ÇA ALLAIT, MOINS JE VOYAIS MA FAMILLE ET MES AMIS » ROMANE

C’est justement en sortant d’un rendez-vous chez son oncologue, dans un hôpital de la banlieue parisienne, que Romane* est tombée dans le piège. « Mon médecin venait de m’annoncer que j’avais un cancer du sein. On avait mis en place un protocole de soins et il m’avait conseillé d’avoir recours à une aide psychologique pour traverser cette épreuve », se souvient-elle. Je suis rentrée chez moi, j’ai fait une recherche sur Internet sans trop savoir ce que je voulais, jusqu’à ce que je tombe sur un site qui semblait me correspondre parfaitement. Il y avait un chat où l’on pouvait poser des questions. Une coach m’a répondu presque immédiatement. Ses mots étaient rassurants, j’avais besoin d’entendre qu’il y avait de l’espoir. » Très vite, le chat ne suffit plus et Romane doit acheter des DVD, à 60 euros l’unité. « Il n’y avait plus qu’elle dans ma vie qui se montrait résolument optimiste, quand tous mes proches étaient terrorisés par ce qui m’arrivait. J’avais de plus en plus besoin d’elle. Et plus ça allait, moins je voyais ma famille et mes amis, je restais terrée chez moi à regarder ses DVD, à lire ses bouquins. J’ai fini par croire que les prières dont elle parlait, les cures de jus qu’elle me vendait étaient la seule manière de guérir mon cancer, je voulais abandonner la chimio, d’autant que ça me rendait affreusement malade. » Heureusement, les parents de Romane réagissent à temps et la jeune femme de 39 ans est sauvée in extremis.

Aujourd’hui, même si elle a déposé plainte, Romane s’en veut et peine à reconnaître son statut de victime. « Je me dis que je me suis mise moi-même dans l’embarras. Si j’ai perdu toutes mes économies, c’est de ma faute, je n’aurais pas dû l’écouter. Et le pire, c’est qu’elle me manque parfois », confie-t-elle, les larmes aux yeux. « Comme dans l’emprise amoureuse, qui place le sujet dans un état de dépendance et de soumission, l’emprise sectaire joue sur les ressorts psychologiques de culpabilisation, de dévalorisation, de chantage affectif, analyse Anne Josso. La personne est attirée par une proposition séduisante et une promesse de mieux-être, mais elle paie rapidement les bénéfices recherchés par un isolement dans son environnement familier, voire une rupture avec son entourage, et par une exploitation de ses faiblesses qui renforcent sa dépendance. Les proches assistent impuissants à une prise de contrôle qui rend la discussion impossible. La proie, affaiblie et privée de son libre arbitre, peut subir de graves préjudices : la dégradation de sa santé, une déstabilisation mentale et la perte de ses repères, un naufrage financier. Certaines victimes sont totalement ruinées financièrement, physiquement et moralement. Elles ont parfois subi des violences, des abus sexuels, et sombrent dans une dépression grave qui peut conduire au suicide. »

« J’ÉTAIS VULNÉRABLE, J’AVAIS BESOIN DE DONNER UN SENS À MA VIE. JE SUIS ALLÉE CONSULTER CE COACH QUE J’AVAIS TROUVÉ SUR INTERNET. » EMILIE

Émilie* a bien failli en arriver à de telles extrémités après avoir été abusée par un homme se présentant comme un coach, spécialiste du monde du travail. Car si 46 % des demandes de signalement adressées à la Miviludes concernent le secteur de la santé, 15 % portent sur la sphère professionnelle. « Je venais d’être licenciée de ma banque après des années difficiles. Mon mari et moi essayions d’avoir un enfant sans succès. J’étais vulnérable, j’avais besoin de donner un sens à ma vie. Je suis allée consulter ce coach que j’avais trouvé sur Internet. Il avait pignon sur rue. Au début, je pensais qu’il était honnête. Mais cela s’est vite dégradé. Je ne m’en rendais pas compte, mais je lui étais de plus en plus asservie. Cet homme que j’avais trouvé laid à notre première séance m’apparaissait comme un dieu vivant. Je ne voyais plus qu’à travers lui. Je ne sais pas très bien comment ça s’est produit, mais j’ai fini par coucher avec lui à chaque rendez-vous. Les rapports sexuels étaient de plus en plus violents et, dès que ça se terminait, je me sentais très mal, souillée », raconte Émilie. Un matin, elle se heurte à une porte close. Le coach a disparu sans laisser de traces. Alors elle s’effondre. « J’ai cru que ma vie s’arrêtait. J’avais envie de mourir, je me sentais responsable de son départ. Je n’avais pas été capable de le retenir. J’ai fini par en parler à mon mari, il voyait bien que quelque chose clochait depuis des mois. Ensemble, on a décidé que j’avais besoin d’aide. J’ai fait un long séjour à l’hôpital », dit-elle pudiquement.

Pour l’heure, Emilie n’est pas prête à déposer plainte. Mais si elle le souhaitait, les associations dédiées et la Miviludes disposent de tout un arsenal pour contrer ces néo-gourous. « L’abus de faiblesse par la mise sous sujétion est un délit introduit dans le Code pénal par la loi About-Picard de 2001. Ces deux dernières années, il n’y a eu qu’une vingtaine de condamnations car il n’est pas facile de réunir les preuves nécessaires, explique Anne Josso. Dans beaucoup de cas, les poursuites sont engagées sur des faits d’escroquerie, d’exercice illégal de la médecine, de violences ou d’agressions sexuelles. Les entreprises sectaires détournent les circuits économiques et, dans ce domaine, les services de Bercy ont une action déterminante. La Mission a une vocation interministérielle, elle échange avec tous les services de l’État. » Pourtant, le 1 er octobre dernier, le gouvernement a annoncé qu’en janvier 2020 la Miviludes, amputée du quart de ses effectifs, serait placée sous la tutelle du seul ministère de l’Intérieur et non plus de Matignon. Une dissolution de fait. « La France est le seul pays au monde à avoir mis en place un tel dispositif de surveillance des sectes. Depuis une dizaine d’années, cette politique s’est assoupie, mais elle n’a jamais été démantelée. Si tel était le cas, ce serait la fin de la spécificité française anti-sectes », prévient Étienne Ollion. Mais pas la fin de l’emprise sectaire.

Les prénoms ont été changés.

Irène Rinaldi publié dans le magazine ELLE du 15 novembre 2019. 

 

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